Quelle approche juridique au Liban?
Introduction
Les droits de l'homme attirent de plus en plus l'attention des gouvernements et des législateurs dans cette ère de mondialisation. Les organisations internationales telles que Human Rights Watch, ainsi que l’INTERPOL (police internationale) et l’EUROPOL (police européenne), ont été mises en place pour protéger et défendre les individus afin de sauvegarder leurs droits. Les traités internationaux et conventions internationales, tels que la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme et la Convention Européenne des Droits de l'Homme, assurent la protection de ces droits en vertu du droit pénal, aux côtés des législations nationales. En effet, le développement de la mobilité internationale au cours des trois dernières décennies, a conduit à une amplification des crimes de passage de clandestins (human smuggling) ainsi que la traite ou trafic d'êtres humains (human trafficking) partout dans le monde. Certaines personnes confondent ces deux crimes, ou les considèrent même comme le même comportement illégal. Cependant ces deux crimes sont très différents.
Quelles sont alors les différences entre ces deux activités illégales et comment peuvent-elles se chevaucher ? Dans ce qui suit, il serait intéressant de s’attarder dans un premier temps sur les définitions juridiques de ces deux concepts pour ensuite entamer dans un second temps l’approche juridique Libanaise (les lois Libanaises) concernant ces deux comportements illégaux.
Définitions juridiques
La traite des êtres humains est le phénomène de contrôle des personnes humaines dans le but de les exploiter, tel que défini par le Protocole des Nations Unies de 2000[1]. Les victimes de telles activités criminelles sont nécessairement des personnes humaines, forcées à travailler dans des domaines où leurs libertés sont mises en jeu. Ces individus sont ainsi victimes d'exploitations sexuelles, de travail forcé, de prélèvement d'organes, de servitude, ainsi que de mendicité forcée surtout récemment avec les crises migratoires. Ceci-dit, la traite des êtres humains n’est pas uniquement un crime transfrontalier, mais peut également se produire au sein du territoire même d’un pays quelconque. Ceci représente une caractéristique spécifique de ce comportement illégal, contrairement au passage de clandestins qui nécessite un passage transfrontalier.
Le passage de clandestins quant à lui, est le phénomène de transgression, de passage ou d'entrée illégale d’un pays à un autre, sans respecter les lois d’entrée et de séjour du pays de destination[2]. Cet acte illégal représente une violation de nature administrative, et est considéré comme un crime transfrontalier puisqu’il ne peut se produire au sein d’un seul territoire. Il nécessite donc le passage ou le transfert d’individus d’un territoire à un autre. La principale victime de ce crime est l'État, car ses lois sur l'immigration ont été violées, et par suite, sa souveraineté. Les victimes secondaires de ce crime sont les êtres humains. En effet, ces individus qui décident de traverser les frontières illégalement pour s'installer dans un autre pays ont elles-mêmes prises leur propre décision et n'ont pas été forcées à traverser, contrairement au crime de traite des êtres humains qui nécessite un acte de coercion. De plus, les activités clandestines illégales sont menées par des réseaux criminels localisés de part et d’autre des frontières, assurant le passage et l’échange illégal de ces êtres humains. Cependant, une fois le passage accompli, ces réseaux criminels ne contrôlent plus les personnes clandestines, contrairement aux réseaux criminels responsables de la traite des personnes humaines puisque ce trafic de personnes peut se produire même si ces dernières sont entrées légalement dans le pays.
Néanmoins, ces deux crimes peuvent se chevaucher : les victimes du passage de clandestins peuvent devenir victimes de la traite des êtres humains. En effet, ceux qui ont été introduits clandestinement dans un pays ne peuvent pas se signaler aux autorités et demander l’obtention des mêmes droits que les résidents légaux ou nationaux du pays, en raison de leur statut illégal ou de « sans-papiers ». Par conséquent, ces individus deviennent ainsi vulnérables et se trouvent forcés à travailler pendant de longues heures, dans de mauvaises conditions d’emploi ainsi que d’hygiène. Ce n'est qu'à ce moment-là que l'exploitation se produit et que ces personnes clandestines deviennent victimes de la traite des êtres humains.
Par conséquent, nous pouvons dire que les victimes de ces deux comportements illégaux peuvent présenter des caractéristiques similaires telles que des « aventuriers impuissants » ou « insensés ». Cependant, les victimes de la traite des êtres humains sont forcées ou contraintes de le faire, tandis que les victimes du passage de clandestins choisissent de le faire. Le crime de traite des êtres humains est un crime qui viole principalement les droits et libertés de l'homme, tandis que le crime de passage de clandestins est principalement un crime contre l'État, violant sa souveraineté en enfreignant ses lois sur l'immigration.
Approche juridique Libanaise
Après avoir brièvement défini ces deux activités illégales, il serait intéressant de s’attarder sur la loi Libanaise No. 164 de 2011 sur la protection contre la traite des êtres humains[3]. Cette loi a été ajoutée au Chapitre 8 du Titre 2 du code pénal Libanais, partie relative aux délits et crimes affectant les personnes humaines.
Cette loi définit le trafic ou la traite des êtres humains, dans son article 586.1 par trois conditions cumulatives, comme suit :
- « le recrutement, le transport, le transfert, l’hébergement ou l’accueil de personnes »
- « par la menace de recours ou le recours à la force ou à d’autres formes de contrainte, par enlèvement, fraude, tromperie, abus d’autorité ou d’une situation de vulnérabilité, ou par l’offre ou l’acceptation de paiements ou d’avantages pour obtenir le consentement d’une personne ayant autorité sur une autre »
- « aux fins d’exploitation de cette personne ou pour faciliter son exploitation par d’autres personnes».
Cet article continue par définir la victime de la traite des êtres humains comme étant une personne naturelle (physique) sujet de trafic de personnes, ou toute personne considérée par les autorités compétentes comme pouvant être victime de trafic de personnes, indépendamment du fait de l’identification, l’arrestation, ou la persécution de l’auteur du crime.
L’article ajoute qu’est considéré comme exploitation le fait d’induire ou de forcer une personne à participer dans des activités « punies par la loi, la prostitution, la prostitution d’autrui ou d’autres formes d’exploitation sexuelle, l’esclavage ou les pratiques analogues à l’esclavage, le travail ou les services forcés y inclus le recrutement forcé ou obligatoire des enfants dans les conflits armés, forcer une personne à commettre une activité terroriste, la servitude ou le prélèvement d’organes ».
Cette définition reflète la définition du trafic de personnes reconnue dans la Convention du Conseil de l’Europe sur la lutte contre la traite des êtres humains du 16 Mai 2005, entrée en vigueur le 1er Février 2008[4].
D’autre part, cet article 586.1 stresse le fait que le consentement de la victime ne légitimise point ces activités criminelles, qui restent punies par la loi en toute circonstance. De même, le consentement du gardien légal de cette victime, ainsi que celui de toute personne exerçant une autorité légale sur ladite victime ne donne aucune légitimité à de tels comportements criminels. Cet article ajoute « que le recrutement, le transport, le transfert, l’hébergement ou l’accueil de personnes âgées de moins de 18 ans, même en l’absence des moyens de recours à des menaces ou à la force ou tout autre moyen mentionné ci-haut est considéré comme un acte de trafic de personnes ». Ce serait intéressant de s’attarder ici sur le fait que le mariage forcé a été reconnu internationalement comme un des comportements criminels de la traite des êtres humains, alors qu’au Liban, comme le statut personnel et par suite les cas de mariage et de divorce sont régis par les lois communautaires et religieuses et non pas par le droit civil, le mariage des enfants de moins de 18 ans est considéré légal, alors que le plus souvent, ce genre de mariage est forcé. D’autre part, le Liban est signataire de la Convention relative aux droits de l’Enfant [5](Convention on the Right of the Child) entrée en vigueur le 2 Septembre 1990 et ratifiée par le Liban le 14 Mai 1991. Ceci-dit, l’élaboration d’une loi sur la protection contre la traite des êtres humains au Liban se heurte à des obstacles législatifs mais aussi politiques qui entravent l’accès à la justice dans certains cas, notamment lorsque les victimes sont des enfants.
Pour les sanctions, les articles 586.2 à 586.8 stipulent les différentes sanctions pénales applicables aux différents degrés de criminalité afin de punir les auteurs de ces crimes.
En ce qui concerne le passage de clandestins, le Liban n’a point un droit de l’immigration. Cependant, la loi No.319 de 1962 relative à l’entrée, le séjour et la sortie des étrangers régit ainsi le statut des immigrants au Liban[6]. Cette loi a été récemment réformée en 2019, et le texte de l’article 6 du Chapitre 2 de cette loi stipule ce qui suit :
« Aucun ressortissant étranger ne peut entrer au Liban s'il n'a passé l'un des postes de la Sûreté Générale et sous réserve qu'il soit en possession des documents et visas réglementaires ainsi que d'un passeport sur lequel un visa de transit ou de résidence a été apposé par un représentant du Liban à l'étranger, par une autorité chargée des intérêts des ressortissants libanais à l'étranger ou par la Sûreté générale. […]
Tout ressortissant étranger souhaitant entrer au Liban dans le but d'y poursuivre une carrière ou pour y travailler est tenu d'obtenir au préalable une autorisation du ministère du Travail et des Affaires Sociales, bien que cette exigence ne s'applique pas aux artistes, qui obtiennent l'autorisation de la Direction de la Sûreté Générale ».
Le Chapitre 9 de ladite loi de 1962 est consacré aux sanctions pénales relatives à l’entrée clandestine des individus au Liban. Article 32 stipule donc que :
« sera puni d'une peine d'emprisonnement ou d'une amende et d'expulsion du Liban :
- tout étranger qui sera entré au Liban sans se conformer aux dispositions de l'article 6 de la présente loi.
-tout étranger qui aurait fait une fausse déclaration destinée à dissimuler sa véritable identité ou qui aurait utilisé de faux papiers d'identité » .
Ainsi, le crime du passage clandestin est identifié dans la loi relative à la régulation du statut des étrangers au Liban, donc de la loi Libanaise sur l’immigration, alors que la loi sur la protection de la traite des êtres humains est une loi qui a été ajoutée au code pénal Libanais. Ceci met donc en exergue la séparation de ces deux types de crimes, dont le premier présente une violation administrative alors que le second est une activité criminelle sanctionnée pénalement. Sur ce, nous pouvons dire que le législateur libanais distingue donc entre ces deux types de crimes, dont les victimes sont respectivement l’Etat et les personnes humaines. Finalement, il ne faudrait pas non plus oublier que les personnes clandestines peuvent toujours devenir victimes de la traite des personnes humaines en l’absence d’un statut légal au Liban comme dans tout autre pays du monde.
[2] Lazare, L. (1998). Les passages clandestins. Revue d’Histoire de la Shoah, 163(2), 101-109.