Les banques libanaises ont trois fonctions principales énoncées au Code de la monnaie et du crédit : la réception des fonds du public, les opérations de crédit et la mise à disposition de la clientèle des moyens de paiement ainsi que leur gestion. Elles sont de ce fait exposées à une panoplie de risques liés au remboursement des crédits qu’elles octroient à leurs clients. Ces risques, qui présentent un danger pour le marché financier libanais et le marché bancaire en particulier, peuvent être limités par la technique de l’assurance et plus précisément de « l’assurance-crédit ».
I - le risque du non-paiement des crédits
Les clients débiteurs de la banque sont la source du risque, de sinistres financiers que peut subir cette dernière en cas de défaut de remboursement des crédits. Le non-paiement du crédit par le débiteur peut avoir plusieurs causes, chacune constituant une catégorie de risque : le risque de contrepartie, le risque de non-remboursement, le risque de détournement de l’objet du crédit, le risque corporatif ou professionnel et le risque de liquidité.
Les banques libanaises sont exposées d’une façon indirecte au risque de dégradation de la situation économique et financière de leurs clients débiteurs. Ce risque est nommé le risque de contrepartie, car la banque subit une perte en capital et en revenu du fait des créances non remboursées et des intérêts non perçus.
Le risque de non-remboursement est réalisé lorsque toutes les voies de recours contre le débiteur défaillant sont épuisées. Il correspond à la perte définitive de la créance, liée à l'insuffisance des capacités financières du client ou sa mauvaise foi. Ces deux éléments mettent le client dans une situation où il ne serait plus en mesure de rembourser les crédits qui lui sont accordés.
Il est généralement lié aux risques particuliers, corporatifs, décisionnels et généraux des clients commerçants.
- Le risque particulier est spécifique à chaque entreprise, notamment aux capacités techniques et à la moralité des dirigeants. En effet, ce risque dépend de la situation financière, industrielle ou commerciale de l'entreprise relative au produit, et à l'organisation commerciale.
- Le risque corporatif (sectoriel) réside essentiellement dans les brusques changements de qualité et de prix qui peuvent se produire dans les conditions d'exploitation commerciale ou industrielle d'une activité.
- Le risque décisionnel est la conséquence d'un mauvais choix effectué par l'entreprise au niveau de ses investissements.
- Le risque général est engendré par les éléments qui touchent à l'économie du pays en général, tels que les guerres et les crises économiques et politiques, ou encore les événements naturels tels que les inondations qui peuvent causer des préjudices importants aux entreprises débitrices des banques.
Au Liban, le non-paiement des crédits est parfois lié au risque de détournement de l’objet du crédit. Il consiste en l'affectation du crédit à des fins autres que celles qui ont été convenues : par exemple, le montant du crédit commercial est utilisé pour l'achat d'une voiture alors qu’il a été octroyé pour l'achat d'une machine de production. Ceci entraine le non-paiement du crédit faute de production, s’il avait acheté la machine il aurait vendu ses produits et payé les crédits à la banque, ce qui anéanti le risque de non payement qu’encourt la banque. C’est à ce niveau-là qu’il faut déjà chercher un remède.
Le non-paiement des crédits par le débiteur de la banque peut être aussi lié au risque corporatif ou professionnel, qui réside essentiellement dans les brusques changements modifiant les conditions d'un commerce ou d'une industrie. C’est ce que nous vivons en ce moment au Liban, la pénurie des matières premières et l’effondrement de la devise du pays face au dollar, la devise des importations, ont contribués au non-paiement des crédits bancaires par les commerçants.
Sans oublier la révolution technique ou même simplement les modifications profondes dans les procédés de fabrication, ou bien l’apparition de produits équivalents et moins chers, peuvent affecter le payement des créances.
La banque peut encourir un risque particulier, le risque de liquidité, qui se traduit par l'incapacité d'une banque de faire face à une demande massive et imprévue de retraits de fonds émanant de sa clientèle à cause de l'éclatement d'une bulle spéculative ou du nombre de défaillances et de difficultés d'entreprises, du transfert massifs des montants à l’étranger, vu la crise de confiance entre les banques et leur clientèle. Dans ce cas de risque particulier, les banques se trouvent dans l'obligation de faire face aux retraits des dépôts appartenant à des tiers alors qu'elles les ont utilisés pour consentir des crédits même très sûrs à des tiers emprunteurs.
Qu’elle sera la solution ?
Pourquoi toujours chercher dans de nouvelles méthodes et de nouvelles garanties alors que l’assurance des crédits commerciaux est instituée depuis très longtemps. En fait, la loi organisant les compagnies d’assurance au Liban, qui date de 1968 et modifiée la dernière fois en 1999, énumère la technique de l’assurance-crédit parmi les techniques d’assurance autorisées aux compagnies d’assurance d’exercer au Liban.
II- La solution proposée : l’assurance des crédits
Nous trouvons dans la technique de l’assurance des crédits commerciaux une possibilité de garantie pour les banques. Cette technique n’est pas nouvelle sur le marché mondial mais n’a pas encore pris son essor sur le marché libanais, bien qu’elle soit avantageuse.
L’assurance des crédits est définie comme étant « l’opération par laquelle un créancier souscrit une assurance contre les risques découlant de l’octroi du crédit »[1].
Nous penchons vers la définition de l'assurance-crédit qui considère l’assurance des crédits un système d'assurance permettant à des créanciers d'être couverts contre le non-paiement des créances dues par des personnes préalablement identifiées et en état de défaillance de paiement[2]. Dans un sens plus restreint Monsieur le Doyen EL-KIK lui donne une définition ciblant les banques, pour lui l’assurance des crédits est la couverture du banquier contre le non-paiement de ses débiteurs[3].
Comme nous avons susmentionné la police d’assurance des crédits est acceptée par la législation libanaise. Elle figure parmi les activités que les compagnies d’assurance peuvent exercer au Liban, au 5ème alinéa de l’article 1 du décret numéro 9812/68 ratifié par la loi numéro 94/99, connu par la loi organisant les compagnies d’assurance au Liban. Cet alinéa accorde aux compagnies d’assurance libanaises et étrangères le droit de pratiquer la technique de l’assurance-crédit sur le marché libanais, et la loi numéro 24/99 ratifiée par la loi numéro 298/2001 permet à l’Institution Nationale des Garanties des Dépôts d’être associée d’une société anonyme libanaise dont l’objet principal est l’assurance des risques de prêts et de crédits qui pourront être accordés au Liban pour les petites ou moyennes entreprises.
L’assuré dans ce type d’assurance peut être soit la banque elle-même, qui conclut un contrat d’assurance sur les crédits qu’elle octroie à ses clients, soit le débiteur, contraint contractuellement de garantir par une police d’assurance le crédit qui lui est octroyé au bénéfice de la banque.
Il s’est avéré que la technique de l’assurance des crédits est une garantie plus solide que les garanties classiques. Le garanties réelles et personnelles sont menacées par leur caractère incertain, parfois la dépréciation de la valeur réelle des montants récupérés et surtout le coût élevé de leur exécution. Prenons l’exemple de la caution que nous estimons comme une garantie personnelle incertaine et insuffisante pour les raisons suivantes. L'objet du contrat de cautionnement est de fournir une garantie du paiement de la dette du débiteur, mais le caractère accessoire du cautionnement engendre une difficulté qui est la nécessité de l'existence d'une obligation principale valable. Par conséquent il y a inexistence de cautionnement si le contrat de créance est jugé inexistant ou nul. À ne pas oublier le cas où la caution n'est pas solidaire entre le débiteur et la caution, "l’exception de discussion" figurant aux articles 1072 et 1074 du code des obligations et des contrats libanais conséquence du caractère accessoire de la caution, est source de lenteurs et de complications pour le créancier. Cependant le créancier qui s'adresser d'emblée à la caution lui oppose alors le bénéfice de discussion ou l'exception de discussion.
En sus, le cas de l'insolvabilité de la caution à l'article 1071 du code des obligations et des contrats libanais stipule dans son deuxième alinéa "l'insolvabilité déclarée de la caution fait échoir la dette à l'égard de celle-ci même avant l'échéance de la dette principale ; le créancier est autorisé, en ce cas, à faire figurer sa créance dans la masse". Ainsi en présence de l'insolvabilité de la caution, le créancier n'est plus qu'un créancier chirographaire qui entre dans la masse des créanciers et est soumis à la concurrence des autres créanciers. Une question se pose alors dans ce cas: quelle est la valeur de la caution en tant que garantie?
Un autre exemple des garanties classiques les sûretés réelles, nous donnons à titre d'exemple le gage et l'hypothèque. L'article 107 du de la loi libanaise relative à la propriété foncière (décision n°3339/1930) dispose que les parties à un contrat de gage d'immeuble ne peuvent pas s'accorder sur l’appropriation de l’immeuble par le créancier-gagiste en cas de non payement de la dette. La jurisprudence libanaise a affirmé que tout accord contraire au texte de l'article 107 précité est considéré comme nul. Et le premier alinéa de l'article 158 du même code stipule qu'en cas de non payement à terme de la dette garantie le créancier gagiste à le droit de demander la vente de l'immeuble ou le droit sur lequel tombe le gage par voie d'exécution forcée ce qui implique la vente aux enchères selon les articles 948 et s. du code de procédure civile libanais. Le texte 107 précité concerne le gage d'immeuble mais la jurisprudence libanaise l'a étendu par analogie à l'hypothèque du fait de l'unicité de la cause de ces deux garanties.
En revanche, bien que le même principe de l'impossibilité du gagiste de s'approprier la chose objet du gage est applicable au gade de meubles selon l’article 16 du décret-loi 46/32, l'exécution forcée ne s'applique pas, le créancier gagiste à droit de vendre le meuble pour restituer sa créance ou de le laisser sous son gage jusqu'à restitution de la créance. Souvent ces ventes, qu'elles soient par voie forcée ou non, ne rapportent pas le juste prix de la chose ou de l'immeuble ; et alors le créancier n'encaisse qu'une minime partie de sa créance et se transforme en un créancier chirographaire pour le reste du montant. L'exécution dans ces cas coûte du temps et de l'argent, ce qui rend la garantie insuffisante, puisque pour récupérer ses droits le créancier doit payer les frais des poursuites judiciaires et attendre le temps que nécessitent ces poursuites.
Nous avons cité ces inconvénients des exemples des garanties classiques pour montrer que l’exécution en cas de non-paiement reste à la charge du créancier. Tant dis que le contrat d’assurance en général a pour fonction de transférer la charge du risque à l’assureur, qui paye les montants dus et se subroge au créancier-assuré dans ses droits afin de poursuivre le débiteur mauvais payeur. Ainsi, l’assurance des crédits est une technique de garantie qui fait gagner du temps et de l’argent. Le temps des procédures judiciaires et les frais à payer pour pouvoir réclamer ses droits à son débiteur.
Une polémique est née sur le type de crédits pouvant faire l’objet d’un contrat d’assurance-crédit. L’école française classique exclut les crédits personnels, les crédits octroyés à des petites et moyennes entreprises, les crédits financiers, etc., alors que l’école moderne, qui apparemment a gagné, considère que l’assurance des crédits financiers est de nos jours l’objet principal de ce type d’assurance. Pour les partisans de cette école, les crédits commerciaux octroyés par les banques sont les seuls crédits financiers couverts par l’assurance-crédit.
Quoi qu’il en soit, rien n’interdit juridiquement aux banques libanaises de demander la couverture de tous leurs crédits, qu’ils soient commerciaux ou personnels. L’enjeu est peut-être financier.
Il est temps de légiférer dans le sens de l’assurance-crédit bien que ce contrat d’assurance n’est émis que par une minorité de compagnie d’assurance sur le marché libanais. Le texte de la loi organisant les compagnies d’assurance au Liban autorise les compagnies d’assurance au Liban d’émettre ce type de police, mais ne suffit pas pour imposer les limites, voir les droits et les obligations des parties contractantes. Il est bien important de faire évoluer cette technique au niveau législatif ce qui encouragera les compagnies d’assurance d’ouvrir de nouveaux marchés et les banques de se garantir contre le non-paiement de leur débiteurs par de nouvelles techniques plus efficaces. N’oublions pas que le banquier est un commerçant qui a besoin de liquidité beaucoup plus que d’argent garantis par des biens meubles et immeubles.
Il est vrai qu’aucune technique financière ou juridique ne permet d’anéantir les risques, mais il en est des plus sûres que d’autres.
[1] B. SOUSI-BOUBI, Lexique de la banque et des marchés financiers, 5éme éd., 2001, Dalloz.
[2] J.BASTIN, La défaillance de paiement et sa protection, l'assurance-crédit, éd. L.G.D.J., 1991.
[3] M.EL-KIK, La couverture du banquier contre l'insolvabilité du crédité par l'assurance, éd. B.D.L.1997.